Histoire de deux caméléons
Suivi de Description anatomique

Référence: 9782362802843

L'Histoire de deux caméléons (1688) fut longtemps considérée comme un texte mineur de la fameuse romancière Madeleine de Scudéry, figure de proue de la littérature galante du XVIIe siècle. Elle y consigne ses observations d'un couple de caméléons reçu en cadeau, tout en mettant l'accent sur la sympathie – sinon l'amitié – qu'elle finit par éprouver pour le mâle, après la mort accidentelle de la femelle. Les caméléons font partie à l'époque des mirabilia qui suscitent la curiosité des naturalistes mais aussi des gens du monde, tandis qu'une légende tenace, pourtant déjà largement entamée par les naturalistes, soutient qu'il ne se nourrit que d'air. Claude Perrault, dirigeant une équipe de scientifiques de la récente Académie Royale des sciences, vient de lui porter le coup de grâce avec un Mémoire (1669) qui fit d'emblée autorité en la matière : prenant appui sur un examen collectif, objectif et expérimental d'un caméléon, il pose les jalons d'une méthode qui allait prendre le nom de ' révolution scientifique '. Contrairement aux apparences, on est loin du cliché qui opposerait savoir académique masculin et sensibilité féminine, car le personnage de ' femme savante ' qu'invente ici Mademoiselle de Scudéry établit une connaissance spécifique sur le comportement des caméléons, tout en affirmant sa compétence dans son domaine propre, celui du sentiment. Son texte, publié après celui de Perrault, dialogue donc avec ce dernier ; toutefois, elle reste à sa marge car, en tant que femme, elle ne peut, conformément aux usages de l'époque, se présenter comme son égal en zoologie, domaine du savoir réservé aux hommes. Pourtant, elle n'en invente pas moins une autre manière d'explorer la piste animale qui repose sur une véritable rencontre entre individus d'espèces différentes, et qui s'oppose donc de manière polémique au paradigme cartésien de l'animal-machine, en passe de s'imposer à la fin du siècle, et dont Perrault devient le représentant. Publier ces deux textes en regard, tout en mettant en lumière deux manières d'aborder l'animal au XVIIe siècle, permet de déjouer le lieu commun d'un Grand Siècle hostile au vivant et de faire entendre des voix dissonantes, qui furent rapidement minorisées, mais dont on redécouvre aujourd'hui toute la portée. Relire le texte de Mademoiselle de Scudéry à l'aune des travaux de V. Despret, D. Harraway et I. Stengers, révèle la modernité de son point de vue sur les individualités animales et sur les relations interspécifiques ; le confronter à celui de Perrault permet de réfléchir aux enjeux de l'écriture de l'histoire des sciences qui s'est élaborée notamment sur la disqualification de la sensibilité et de la subjectivité, particulièrement en matière d'expertise animale. Posant ici les jalons de l'éthologie moderne, Mademoiselle de Scudéry propose une des premières ' biographies animales ' de langue française et en invente la poétique, dans la mesure où le filtre de la galanterie rend lisible ce qui est en passe d'être invisibilisé par le nouveau paradigme cartésien : les sentiments des bêtes. Ce texte ' écoféministe ', jamais republié depuis le XVIIe siècle, nous plonge au coeur des pratiques mondaines de l'aristocratie, en un temps ou non seulement écrire les sciences naturelles au féminin n'allait pas de soi, mais où parler ' d'affect animal ' ne sera désormais plus possible et passera pour de la sensiblerie ridicule. Trois chercheurs (Anthony Herrel, éthologue spécialiste des caméléons, Thierry Hoquet, philosophe des sciences et Aude Volpilhac, spécialiste de la littérature du XVIIe siècle), éclairent à partir de leur discipline les enjeux complexes de ce dialogue souterrain méconnu entre Perrault et Scudéry autour d'un animal toujours aussi singulier, le caméléon.

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